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UN CENTRE SOCIAL INSOUMIS : LIEU DE VIE, DE LUTTE ET DE TRANSFORMATION


Une proposition pour un centre social global et intégral, vivant, politique et inconditionnel.

Par Christophe Pruvot

Ce texte est une prise de parole. Une mise en mot d’un vécu. Une tentative de dire ce que nous faisons, ce que nous portons, ce que nous défendons. Nous pédagogues sociaux et éducateurs populaires.


Il est né dans l’expérience concrète d’un travail social et éducatif mené dans les quartiers populaires. Il est traversé par une colère sourde, une espérance têtue, une volonté de rester fidèle à ce qui fait sens.

Nous y posons une expression : centre social global et intégral. C’est notre vision du centre social.
Elle n’est pas issue d’un cahier des charges. Elle ne vient pas d’un modèle à dupliquer. Elle vient d’une pratique, d’une pensée en acte, d’une résistance quotidienne.

Par global, nous affirmons une vision qui refuse les silos, les découpages institutionnels, les cases : un centre qui agit dans la totalité de la vie sociale, sans réduire les personnes à des statuts, des âges, des dispositifs.
Par intégral, nous désignons un centre qui prend en compte la personne dans toutes ses dimensions : affective, sociale, politique, culturelle. Un lieu qui accueille sans condition, qui tient dans le temps, qui relie et transforme.

Un centre social global et intégral, c’est un espace de vie et de lutte, d’accueil et de conflictualité, de soin et de politique.
C’est un projet qui s’ancre dans la pédagogie sociale, dans l’éducation populaire, dans une éthique de la relation.
C’est un commun à défendre, un pari sur l’humain, une folie nécessaire dans un monde qui disloque, trie, contrôle.

Ce texte n’est pas un plaidoyer neutre.
Il est situé, habité, subjectif. Il parle depuis le terrain, depuis les quartiers, depuis le lien.
Il dit ce que peut un centre social quand il refuse de se soumettre aux logiques gestionnaires, quand il choisit d’être aux côtés des gens, quand il invente d’autres manières de faire société.

PARTIE 1 : Un centre social global et intégral : pour une politique du quotidien, une praxis éducative et une radicalité sociale

Nous ne voulons pas gérer la misère, nous voulons la combattre.
Le centre social global et intégral n’est pas un lieu. C’est une lutte. Ce n’est pas un bâtiment, c’est une présence. Ce n’est pas un programme, c’est une promesse. Une promesse tenue. Une promesse faite aux invisibles, aux précaires, aux relégués. Une promesse faite à la société toute entière : celle de ne pas se résigner, celle de ne pas trier, celle de refuser la norme imposée.

Nous ne voulons plus faire avec ce qui reste, pour ceux qui s’en sortent, dans le cadre de ce qui est possible. Nous voulons une action sociale intégrale, parce que la violence sociale est totale. Elle traverse les corps, les papiers, les guichets, les repas, les logements, les esprits.

Socialiser le monde, réparer les liens

Le mot est ancien, parfois galvaudé. Mais il est juste. Il faut socialiser. Socialiser les repas, les soins, les apprentissages. Reprendre ce que le néolibéralisme a éclaté, individualisé, marchandisé. Redonner du sens là où tout est compté. Socialiser, c’est refuser de laisser les existences entre les mains d’une logique gestionnaire, d’un logiciel managérial, d’un discours dépolitisé.

C’est en ce sens que le centre social global et intégral devient un outil politique. Pas un service. Pas une plateforme. Pas une case dans la cartographie des dispositifs. Un outil entre les mains des habitants pour se rencontrer, pour comprendre, pour agir.

Inconditionnalité : pas de condition, pas de case, pas de contrôle

L’accueil y est inconditionnel. Radicalement inconditionnel. C’est-à-dire qu’on y entre sans CV, sans dossier, sans adhésion obligatoire. On y entre comme on est. Et on y est accueilli pour ce qu’on est. Pas pour ce qu’on pourrait être si on se comportait bien, si on méritait, si on correspondait.

L’hospitalité est le cœur battant du projet. On y croise des enfants qui jouent avec des retraités. Des parents qui cuisinent avec des jeunes. Des professionnels qui sont aussi bénévoles. Des personnes qui pleurent et des personnes qui rient. Il n’y a pas de guichet. Il y a des regards, des mots, des gestes. Il y a des tapis posés dans la rue. Il y a des nattes d’accueil qui ne ferment jamais.

L’éducatif est politique. Le social est conflictuel. Le quotidien est révolutionnaire.

Ce lieu de vie partagée ne craint pas le désordre. Il l’organise. Il le transforme. Il s’inscrit dans une démarche de pédagogie sociale, qui refuse les murs, les seuils, les statuts. L’action éducative y est pensée comme une relation, comme une alliance, comme une recherche. Une recherche-action habitée, située, imbriquée, où chaque moment est un moment politique.

On n’éduque pas à côté du monde. On éduque dans le monde, contre ce qui l’abîme, pour ce qui le rend habitable. Nos pratiques ne sont pas des accompagnements vers l’autonomie, mais des invitations à la transformation. Pas des services, mais des actes de rébellion douce, joyeuse, collective.

Un projet politique incarné dans les pratiques : la démocratie du faire

Un centre social global et intégral, c’est aussi une expérimentation politique vivante. Une fabrique de démocratie du quotidien. Les habitants y prennent des responsabilités, pas parce qu’on les y autorise, mais parce qu’ils s’en saisissent. Les décisions se prennent au milieu des discussions, dans la cuisine, dans les ateliers, dans la rue. Il n’y a pas de séparation entre les temps formels et les temps informels. Il y a de la confiance. De la confiance en l’autre, dans sa capacité à dire, à faire, à choisir.

C’est un projet de territoire qui ne s’adapte pas à ce qui est. Il transforme. Il interroge les formes de pouvoir, de gestion, de savoir. Il produit de la pensée. Il produit de la conflictualité. Il réhabilite le débat. Il rejette la neutralité. Il affirme ses valeurs. Il assume ses contradictions.

Une philosophie politique en actes

Ce type de lieu ne triche pas sur ce qu’il est : une tentative politique d’habiter autrement le monde. Il prend appui sur des penseurs comme Freire, Freinet, Spinoza, Arendt, Butler, Korzak, Radlinska, Gramsci, Bourdieu, Winnicott, Maurel pour éclairer l’agir éducatif et social. Mais il ne reste pas dans les livres. Il les met en actes. Il fait de chaque jour un chapitre, de chaque atelier une hypothèse, de chaque rencontre une démonstration.

Il est fragile. Il est instable. Parce qu’il est vivant. Parce qu’il prend le risque du commun. Parce qu’il refuse la logique du projet comme conformité. Il préfère la démarche comme transformation. Il n’est pas neutre. Il est situé. Il est aux côtés des opprimés, des dominé·es, des oublié·es. Il est avec, jamais au-dessus.

Durer pour résister, résister pour construire

Un tel espace est une utopie incarnée. Une pratique critique. Un espace de luttes. Une zone à défendre. Il ne demande pas la permission pour exister. Il se sait menacé par les logiques néolibérales, par les normes CAF, par les grilles d’évaluation, par les appels à projets absurdes. Mais il tient. Il dure. Parce qu’il est nécessaire. Parce qu’il offre une boussole à celles et ceux qui ne veulent pas se contenter d’aménager les ruines.

Tenir depuis les marges. Résister avec les autres. Fabriquer un monde habitable. Voilà ce que fait, ce que cherche, ce que rêve un centre social intégral.

PARTIE 2 : Le centre social global et intégral : pour une politique vivante du commun, de l’accueil et de la transformation

Un centre social global et intégral, ce n’est pas un outil de la politique sociale. Ce n’est pas un service. Ce n’est pas une offre. Ce n’est même pas un projet au sens administratif du terme. C’est un lieu qui s’ouvre, un lien qui se tisse, un geste qui s’engage, un territoire qui s’habite autrement. Un espace commun, accueillant, indiscipliné, affectif, ouvert, politique.

Ce type de centre social est un refuge dans un monde traversé par les logiques d’exclusion, de performance et de tri. Il est aussi un point d’appui pour la lutte, un lieu qui redonne de la consistance à la vie quotidienne, de la stabilité dans un monde qui fragilise, de la continuité dans un environnement disloqué.

Libre adhésion, libre circulation, libre initiative : faire confiance au mouvement

Ce centre social repose sur une logique de liberté : liberté d’entrer, de sortir, de rester, de proposer, de ne rien faire, de recommencer.
C’est une libre adhésion dans tous les sens du terme : on n’impose ni projet, ni comportement, ni attentes. On ne conditionne pas la participation à une adhésion formelle, on ne la monnaye pas. On vient parce qu’on y trouve quelque chose : une parole qui ne juge pas, un espace qui accueille, un collectif qui écoute.

La libre circulation est la marque d’un lieu réellement habité, pas cloisonné. Les enfants passent des jeux au goûter, les adultes d’un coup de main en cuisine à une réunion spontanée. On ne compartimente pas les âges, les activités, les statuts. On ne surveille pas les passages. On les célèbre.

La libre initiative n’est pas un slogan, c’est un principe d’action. On n’attend pas que les gens aient des projets : on agit avec eux, à partir d’eux, dans ce qui émerge. Une idée ? On la tente. Un besoin ? On s’en occupe. Un problème ? On l’affronte ensemble. On part du réel, sans attendre de validation, de cadrage, de légitimation externe.

Stabilité et non-spécificité : créer les conditions d’une confiance durable

Dans un monde instable, le centre social intégral est un repère. Pas une variable d’ajustement. Pas un opérateur à géométrie variable. Il tient dans le temps, dans la continuité, dans la durée. Il n’est pas événementiel, pas temporaire, pas thématique. Il est présent, au quotidien, dans les hauts comme dans les bas.

Il refuse la spécialisation des actions. Il ne segmente pas l’enfance, la jeunesse, la parentalité, le handicap, les seniors. Il ne fabrique pas des « publics cibles ». Il œuvre dans la globalité des existences, dans leur complexité. Il accompagne des vies, pas des problématiques.

La force du mélange, la puissance de la diversité, la politique de la rencontre

Ici, tout se mélange. Et c’est bien. C’est voulu. C’est politique. On y trouve des enfants qui jouent avec des anciens, des femmes en exil qui racontent leur histoire à des lycéens en colère, des éducatrices qui apprennent des jeunes, des familles qui se reconstruisent ensemble.

La mixité réelle (pas l’injonction à la diversité marketing) est une force, un levier de compréhension mutuelle, un ferment de transformation. Ce mélange n’est ni naïf ni décoratif. Il est conflit, questionnement, transmission.

Le soin, l’affect, la présence : une politique de l’attention

Le centre social global et intégral ne fonctionne pas à la procédure, mais à la présence. Il ne distribue pas des services, il tisse des liens. Il ne prend pas en charge, il prend soin. Et ce soin est autant affectif que matériel, autant relationnel qu’organisationnel.

On y accueille les pleurs, les colères, les silences. On y accepte les failles. On ne demande pas aux gens d’être performants, d’aller bien, de se comporter. On leur permet d’exister. Et cette reconnaissance sensible, incarnée, est déjà en soi un acte politique.

Aller vers, rejoindre, habiter le milieu

Un tel centre social ne s’enferme pas dans ses murs. Il sort, va vers, rejoint, habite les interstices. Il agit dans la rue, sur les paliers, dans les squares, sur les marchés. Il est dans le milieu, avec le milieu, du milieu. Il ne vient pas apporter de l’aide, il se branche sur le réel, il s’inscrit dans le quotidien des habitants, dans leur géographie vécue, dans leur temporalité.

Une communauté politique en mouvement

Ce centre social, c’est aussi une communauté. Pas une communauté de statut, de croyance ou d’intérêt. Une communauté politique : celles et ceux qui se reconnaissent dans une manière de vivre ensemble, de faire lien, de résister aux logiques dominantes. Une communauté ouverte, poreuse, mouvante. Un commun en construction.

L’art, la culture, la création comme langages d’émancipation

Là où le langage administratif appauvrit, l’art libère. Là où la novlangue technocratique réduit, la culture déploie. Ce type de centre social n’est pas un opérateur culturel. Il est culturel en soi. Chaque action, chaque moment, chaque geste peut devenir création, invention, récit, poésie. L’esthétique y est une politique de la dignité.

Éducation populaire et pédagogie sociale : une praxis incarnée

Le centre social global et intégral est pédagogie sociale : il se vit dans l’action, dans la relation, dans l’expérience. Mais il est aussi profondément éducation populaire : il vise la conscientisation, la construction collective de savoirs, la transformation sociale. Il n’accompagne pas vers l’autonomie, il forme à la résistance, il arme à la pensée critique, il transmet une culture politique du quotidien.

On y débat, on y apprend, on y écrit, on y lit le monde ensemble. Les savoirs populaires y sont reconnus, valorisés, partagés. On y cultive la mémoire des luttes, le sens de la solidarité, la capacité à dire non.

Une recherche-action habitée, collective, engagée

Enfin, le centre social intégral ne se contente pas de mettre en œuvre. Il réfléchit, observe, interroge, documente. Il se pense lui-même comme recherche-action : un lieu d’expérimentation et de savoirs ancrés dans la pratique, une intelligence collective en mouvement, une dialectique entre l’agir et le penser. Il refuse les évaluations instrumentales, il produit ses propres récits, il politise les données.

Une utopie concrète, un commun à défendre

Ce lieu politique et populaire est une utopie concrète, située, habitable. Ce n’est ni un idéal lointain, ni un dispositif clé en main. C’est un espace de lutte et de soin, de quotidien et de pensée, d’accueil et de conflictualité. Une construction patiente, collective, joyeuse, qui refuse les assignations, les formats, les injonctions.

C’est une manière de vivre le monde, de le contester, de le transformer.
C’est un pari sur l’humain. Une folie nécessaire. Un geste de résistance. Un commun à défendre.

PARTIE 3 : Organiser le quotidien sans le cloisonner : pratiques concrètes pour un centre social global et intégral

On nous demande souvent : Mais concrètement, vous faites quoi ?
Comme si la légitimité de notre action dépendait de sa capacité à se laisser enfermer dans des cases : enfance, jeunesse, parentalité, seniors, emploi.
Comme si l’action sociale devait se découper en domaines, en tranches d’âge, en catégories de publics.
Nous faisons l’inverse. Nous décloisonnons. Non pas pour tout mélanger n’importe comment, mais pour reconstruire un quotidien habitable, collectif, politique.

Un accueil inconditionnel, habité et situé

Dès l’accueil, tout commence. Pas un guichet, pas une borne, pas un point info.
Un espace vivant, ouvert, traversé. Avec des canapés, des tapis, du café, des gens qui parlent. Des enfants qui jouent pendant que les adultes discutent. Une maman en galère de papier, un jeune qui cherche un boulot, un retraité qui veut raconter son histoire.

L’accueil, c’est le cœur battant du centre social global et intégral. On y entre sans rendez-vous. On y reste sans être pressé. On ne vient pas chercher une réponse mais habiter un espace de vie collective. Et parfois, sans qu’on l’ait prévu, une solution, une idée, un soutien surgissent.

Avec les enfants : du jeu libre au soin partagé

On ne fait pas de garderie. On ne fait pas de temps périscolaire. On fait de la vie partagée avec les enfants.
Des jeux dans la rue, des cabanes bricolées, des histoires inventées ensemble.
Mais aussi des temps de discussion, de médiation, d’écoute. Parce qu’un enfant n’est pas à occuper, il est à accueillir dans toute sa complexité.
On construit avec eux des espaces de confiance, où ils peuvent exprimer leurs colères, leurs joies, leurs angoisses.
Pas d’occupationnel. Pas de temps calmes imposés. De la présence éducative, de l’attention, du temps long.

Avec les jeunes : faire avec et ensemble, pas pour

Travailler avec les jeunes, ce n’est pas les canaliser, c’est les reconnaître. C’est leur donner des espaces d’initiative réelle.
Créer un média libre avec eux. Monter un ciné-débat. Organiser un tournoi politique de foot de rue. Créer une bibliothèque de rue avec des lectures publiques.
Mais c’est aussi les écouter sans juger, accueillir leurs colères, leurs ruptures, leurs refus.
C’est les considérer comme des interlocuteurs politiques, pas comme des sujets à insérer.
Et c’est leur proposer un espace d’engagement, de formation mutuelle, d’expérimentation.
Pas pour les occuper, mais pour faire société avec eux.

Avec les familles : faire communauté, pas accompagnement

Un projet familles ? Oui, mais pas un projet pour les aider à devenir de bonnes familles ou de bons parents.
Un projet qui part du réel : un repas partagé où les enfants cuisinent avec les parents. Un atelier couture où l’on parle des galères d’école et des violences administratives. Une sortie où se crée du lien entre familles qui ne se croisent jamais.
C’est faire tiers ensemble, créer des espaces de parole collective, de solidarité concrète.
C’est s’appuyer sur les savoirs des parents, sur leur expertise du quotidien. Ce n’est pas de la parentalité positive. C’est de la démocratie affective.

Avec les adultes : écouter, politiser, accompagner sans contrôler

Ici, on parle de tout. Du chômage. Des galères. Du rapport à l’école. De la police.
On ne cloisonne pas insertion et vie sociale.
Un adulte sans emploi peut venir cuisiner, tenir l’accueil, proposer une activité, participer à une recherche-action. Il n’a pas besoin d’un projet professionnel ficelé pour être reconnu. Il a une place.
Et parfois, on écrit ensemble une lettre. Un récit de vie. Un texte politique.
On peut organiser une réunion populaire sur les droits au chômage, une permanence solidaire d’accès aux droits, un atelier d’autodéfense administrative.

Avec les personnes âgées : sortir de la logique de l’animation

Pas d’atelier mémoire, pas de loto obligatoire.
Les anciens ont toute leur place dans le centre. Ils transmettent, ils racontent, ils débattent.
On fabrique des lieux où les générations se croisent.
Des ados qui filment les récits. Une mamie qui coanime un atelier tricot ou cuisine avec une jeune migrante.
Des repas intergénérationnels où les souvenirs deviennent des récits partagés.
Les personnes âgées ne sont pas des usagers à divertir. Ce sont des figures du lien social et des passeurs de culture populaire.

Sortir des silos, dépasser la transversalité : penser en termes de quotidien partagé

Le cloisonnement par domaine est un piège. Mais l’injonction à la transversalité peut être tout aussi creuse si elle ne repose sur rien.
Nous refusons l’organigramme éclaté. Nous partons du quotidien partagé.
Un mardi matin, un atelier cuisine avec une habitante, un éducateur, une maman isolée, une jeune en service civique, un retraité.
Le même jour, un temps de jeux éducatifs avec les enfants du quartier, suivi d’un débat entre parents et professionnels sur les discriminations scolaires.
Ce ne sont pas des projets transversaux. Ce sont des espaces où la vie sociale s’organise collectivement.

Oui aux jeux, non à l’occupationnel

Proposer des jeux ? Oui, bien sûr. Jouer, c’est vital. Mais pas pour faire passer le temps.
Le jeu n’est pas un outil de contrôle, mais un langage commun, un terrain de lien, d’expression, de conflits régulés.
On joue dans la rue, dans le hall, dans les ateliers. On fabrique ses propres jeux. On détourne les règles. On apprend en jouant, on pense en jouant.

Un projet jeunesse, un projet famille, un projet emploi : mais autrement

Oui, on peut avoir des projets. Mais pas au sens institutionnel du terme.
Un projet jeunesse, c’est un espace où les jeunes pensent le quartier, se forment mutuellement, construisent leurs propres narrations.
Un projet familles, c’est une communauté qui se soutient, partage ses savoirs, se politise.
Un projet emploi, ce n’est pas une plateforme de CV. C’est un accompagnement émancipateur, une reconnaissance des compétences invisibles, un appui pour créer, coopérer, se projeter autrement.

Une fabrique collective du commun, du lien et du sens

Ce que nous faisons ? Nous habitons le quotidien. Nous créons des espaces de confiance et de conflit. Nous organisons la vie sociale comme une œuvre collective.
Nous refusons d’être des gestionnaires de pauvreté ou des animateurs de lien social.
Nous sommes des passeurs, des relieurs, des éducateurs populaires, des artisans du commun.
Chaque jour, nous réinventons ce que peut un centre social quand il est libéré des carcans et des grilles d’évaluation.
Et chaque jour, malgré les contraintes, les pressions, les réductions budgétaires, nous tenons. Parce que nous savons que ce que nous construisons vaut plus que ce qu’on nous demande.

PARTIE 4 : Institutions, financements, injonctions : tenir l’espace politique depuis le terrain

Travailler dans un centre social global et intégral, c’est faire avec les institutions sans s’y dissoudre.
C’est accepter les tensions, sans céder.
C’est dire oui pour rester dans la course, et dire non pour ne pas trahir le sens.
C’est tenir sur la ligne de crête.

La tension permanente entre terrain vivant et objectifs figés

Entre les rapports d’activité attendus et la réalité vécue sur le terrain, il y a un gouffre.
Là-haut, on exige des objectifs, des indicateurs, des résultats chiffrés.
Ici, on vit de l’imprévu, de l’accident, de la rencontre, de l’inattendu.
On nous parle de pilotage par les résultats. Nous parlons de présence, de lien, de transformation lente.

Les institutions veulent savoir combien d’enfants ont été touchés.
Nous voulons dire comment certains ont recommencé à jouer.
On nous demande combien de familles ont été accompagnées vers l’autonomie.
Nous aimerions raconter comment des parents se sont mis à revendiquer.
Ce n’est pas le même langage. Ce n’est pas la même temporalité. Ce n’est pas la même vision de l’humain.

Évaluation, impact, indicateurs : refus de l’instrumentalisation, choix de l’analyse politique

Dans ce type de centre social, l’évaluation ne peut pas être une fin en soi.
Elle n’est pas une reddition. Elle n’est pas une validation extérieure.
Elle est une occasion de penser l’action, collectivement, depuis le terrain, avec les personnes concernées.

On ne mesure pas l’impact comme un cabinet de conseil.
On produit des récits. On politise les données.
On ne compte pas des usagers, on documente des histoires, on analyse des dynamiques, on partage des hypothèses d’action.

Il est possible de rendre compte. Mais pas dans le langage froid de la performance.
Nous préférons le langage de la parole habitée, de l’action située, du conflit assumé.
Rendre des comptes, oui. Mais pas se rendre.

Politiques publiques : négocier sans se soumettre, dialoguer sans se trahir

Il ne s’agit pas de se couper des politiques publiques.
Au contraire. Il faut les interroger, les déplacer, les bousculer.
Un centre social global et intégral ne fait pas juste ce qu’on lui demande.
Il fait ce qu’il doit faire pour être fidèle à sa raison d’être : accueillir, relier, soutenir, émanciper, transformer.

Cela suppose de parler vrai aux institutions, d’assumer les contradictions, de rendre visible ce qui est souvent tu comme les effets pervers des appels à projets, les logiques absurdes de court-terme ou encore les injonctions contradictoires entre inclusion et contrôle, entre autonomie et conditions.

Cela suppose parfois de dire non à une subvention, ou de dire oui tout en résistant dans l’usage des moyens.
Cela suppose aussi de travailler avec des élus, des techniciens, des agents de terrain, sans renoncer à son cap politique.

Financements : entre bricolage, alliances et désobéissance constructive

Tenir un tel lieu exige des moyens. On ne le nie pas. Mais ces moyens ne peuvent pas dicter l’action.
On ne peut pas se contenter de répondre à des appels d’offres.
On doit créer de la marge, du flou fertile, du champ libre.

Cela passe par des alliances locales : avec des collectifs, des artistes, des chercheurs, des militantes, des habitants, des syndicats, des associations.
Cela passe aussi par des financements croisés, intelligemment utilisés pour préserver la stabilité et l’ouverture.
Mais c’est également une capacité à résister aux logiques de justification à tout prix, à la bureaucratisation du travail social.
Ce sont des choix pour faire perdurer des espaces non financés mais essentiels, où l’on agit parce qu’on y croit.

Et quand il le faut, on ruse, on contourne, on désobéit en conscience.
Pas pour frauder. Pour défendre ce qui fait le cœur du projet : l’inconditionnalité, la confiance, la présence, la politique du quotidien.

Est-ce que c’est possible ? Oui. Mais ce n’est jamais tranquille.

Un tel centre social peut exister. Il existe. Mais il est toujours fragile, toujours à défendre, toujours en tension.
Il faut une équipe qui tient politiquement, des alliés dans les institutions, un ancrage fort dans le territoire, une clarté dans les valeurs.
Il faut produire du sens autant que du lien.
Il faut résister au langage managérial, refuser de se diluer dans les tableaux de bord.

Mais quand on y arrive, ça change tout.
Les gens s’approprient le lieu.
Les habitants s’organisent.
Les professionnels retrouvent du sens.
Les murs s’ouvrent.
Et tout d’un coup, on ne fait plus de l’animation sociale, on fabrique une société plus juste, depuis le bas.

PARTIE 5 : Un centre social, c’est ça. Et c’est ce que nous demandons. Manifeste pour un centre social global et intégral

Un centre social, ce n’est pas un service.
Ce n’est pas un guichet. Ce n’est pas un programme. Ce n’est pas une prestation.

Un centre social, c’est un lieu vivant, une présence politique, un espace de transformation.
C’est un territoire habité, traversé, bricolé, disputé, partagé.

Un centre social global et intégral c’est un centre social vivant, habité, ouvert, insoumis, populaire, émancipateur, politique, radical, indiscipliné, hospitalier, inconditionnel, commun et combatif. Un centre social qui fait communauté

Un centre social, c’est…

  • un accueil inconditionnel, sans dossier, sans jugement, sans tri ;
  • un lieu où l’on peut entrer sans raison, sortir sans rendez-vous, rester sans se justifier ;
  • une communauté ouverte, mouvante, faite d’habitants, de passages, de récits, de conflits et de soin ;
  • un espace de confiance pour les enfants, les jeunes, les familles, les adultes, les personnes âgées et ensemble, pas séparément ;
  • un lieu sans cloison, sans cases, sans segmentation : on y vit, on y joue, on y débat, on y agit ;
  • un foyer d’éducation populaire et de pédagogie sociale, où l’on pense, où l’on apprend, où l’on se forme, où l’on s’engage ;
  • un espace d’expression, de création, de culture : ici, l’art n’est pas un supplément d’âme, il est une arme de libération ;
  • un lieu d’expérimentation sociale et politique, où l’on fabrique des solidarités et des savoirs à partir du réel ;
  • un lieu où la libre initiative est possible, où chacun peut proposer, créer, s’impliquer ;
  • un lieu stable, durable, enraciné, qui ne ferme pas avec le projet ou le budget.

Et c’est ce que nous demandons.

Nous demandons :

  • le droit d’agir librement dans nos quartiers, avec et pour les habitant·es, sans devoir coller aux appels à projets à la mode ;
  • le droit de refuser les logiques d’évaluation instrumentale, les tableaux de bord absurdes, les indicateurs creux ;
  • le droit de penser politiquement nos pratiques, de parler de domination, de lutte, de justice, de conflit ;
  • des moyens stables et pérennes, pour ne plus mendier chaque année ce qui permet juste de tenir ;
  • la reconnaissance de nos pratiques comme travail d’intérêt public, pas comme gestion de la pauvreté ;
  • la liberté d’accueillir sans condition, d’inventer sans limite, de tenir sans se renier.

Un centre social, ce n’est pas une réponse aux problèmes.
C’est un endroit où l’on refuse de s’y résigner.

Un centre social, ce n’est pas une case dans un tableau.
C’est un lieu où le monde peut se dire, se penser, se transformer.

Un centre social, ce n’est pas ce qu’on nous laisse faire.
C’est ce que nous faisons malgré tout. Parce que c’est juste. Parce que c’est nécessaire. Parce que c’est humain.

Nous ne demandons pas la permission d’exister.
Nous exigeons les conditions de continuer.